Je ne sais pas si vous vous rappelez les élections présidentielles de 2017. Je ne soutenais pas d’emblée le nouveau candidat qui se proclamait haut et fort « ni de droite ni de gauche », mais puisqu’il venait de remporter le premier tour des élections, j’ai décidé de m’intéresser un peu plus près à son programme pour savoir à quelle sauce on allait être mangés durant ce prochain quinquennat. J’ai donc commandé son livre Révolution – C’est notre combat pour la France et je l’ai lu et relu, crayon en main.
En tant qu’entrepreneur, certains points du programme du candidat Macron m’interpellaient, notamment ceux ayant trait à la formation professionnelle. Voici un des passages que j’ai relevés. Il se trouve à la page 255, dans le chapitre intitulé Rendre le pouvoir à ceux qui font :
Être efficace, c’est en finir avec le bavardage législatif. […] Ce vieux réflexe français, qui consiste à faire de tout sujet une affaire de règle ou de droit, est devenu insupportable.
Le tout s’inscrivait dans une politique de centrisme éclairé assaisonnée de beaucoup de social, et j’avoue que ce que je lisais avait de quoi me séduire. Je me suis donc réjoui lorsque le candidat en question a remporté les élections.
Six ans plus tard, j’ose affirmer que le livre Révolution mérite sa place au marché de Sommières. Chez mon primeur marocain. Dans le rayon des salades. Entre les frisées et les batavia.
C’était mieux avant
Je suis formateur depuis 2007. J’ai animé des formations en Administration Systèmes Linux pour toutes sortes de publics :
les informaticiens chez Vinci Autoroutes et chez FranceTV
les administrateurs à la Direction Régionale du Travail
les salariés d’associations diverses et variées
les demandeurs d’emploi à la Chambre de Commerce
etc.
Une formation Linux qui se respecte demande du temps, et il est rare qu’un simple salarié d’une entreprise ou d’une association puisse la financer de se poche.
Dans le bon vieux temps avant 2017, les choses étaient assez simples. Il suffisait de remplir quelques documents pour demander un financement, ce qui n’était pas la mer à boire, et même une simple formalité. En règle générale, la demande était reçue favorablement, et la formation pouvait avoir lieu.
De mal en Qualiopis
Depuis 2017, une succession de réformes les unes les plus stupides que les autres a engendré un véritable massacre dans le secteur de la formation, notamment chez les petits formateurs comme moi :
Le Data Dock, un nom bizarre pour désigner un mélange malsain de rigueur et de chaos qui a poussé pas mal de formateurs dans le désespoir.
Qualiopi, une sorte de Data Dock aux stéroïdes anabolisants. Un variant agressif qui a fini par achever les dernières petites structures qui avaient su résister jusque-là.
Le pizzaïolo étoilé ?
Je ne vais pas vous ennuyer avec les détails horripilants de ces monstruosités bureaucratiques. Au lieu de cela, je vous laisse imaginer un instant que je ne sois pas formateur Linux, mais pizzaïolo dans mon village. Un bon pizzaïolo, qui confectionne ses pizzas avec un certain sens du détail, une bonne pâte faite maison, des ingrédients choisis avec amour. Pendant quelques années, mes pizzas connaissent un certain succès au village et dans les alentours.
Et puis du jour au lendemain, le gouvernement décide que dorénavant je me vois dans l’obligation d’arborer une étoile Michelin pour avoir le droit de faire des pizzas. Je proteste en expliquant que les étoiles Michelin pour les pizzas, ça ne se fait pas trop. De l’autre côté du guichet ou du serveur vocal, on me rétorque que tout cela ne se fait que « dans le souci d’assurer la qualité de la prestation ». Bon. OK. Cool.
McDo’ & Michelin
Un an après cette réforme, tous les pizzaïolos de France et de Navarre finissent par mettre la clé sous la porte. Dorénavant, tout le monde peut aller manger chez McDo’, Quick ou KFC. Et plus généralement toutes les grandes enseignes qui disposent des moyens pour embaucher du personnel dédié à la seule et unique tâche de naviguer dans les méandres de la bureaucratie gastronomique pour obtenir une étoile Michelin. Peu importe si c’est de la malbouffe dans les assiettes, du moment que tout le monde respecte la procédure.
Le règlement c’est le règlement
Vous trouvez que j’exagère ? Une entreprise de formation pour laquelle je travaille depuis quelques années a été contactée il y a quelque temps par un très (!) gros client pour dispenser une formation plutôt pointue et technique à ses équipes.
Les formateurs leur ont concocté une formation sur mesure.
La formation s’est très bien déroulée.
Le client a explicitement exprimé sa satisfaction.
Au final, tout le monde était content.
Tout le monde, sauf le contrôleur Qualiopi qui a refusé de valider la formation, parce que d’après lui, la procédure n’a pas été respectée.
Un bel avenir derrière nous
J’ai dû y repenser ce matin, où j’ai encore passé quatre heures à remplir des formulaires jusqu’au plafond pour rentrer dans les cases de Qualiopi. À me demander où j’ai bien pu ranger la copie certifiée des radios pulmonaires de ma grand-mère hongroise, parce que l’école pour laquelle je suis en train de dispenser une formation en a besoin pour sa certification Qualiopi. Quatre heures que j’aurais préféré passer à lire de la documentation technique ou à préparer mes cours.
Dans l’état actuel des choses, je n’ai aucune solution à proposer, si ce n’est de goudronner et de plumer les têtes d’œuf qui ont pondu ces réformes avant de les envoyer coloniser Pluton. Je jette un regard morne sur la couverture du livre Révolution qui prend la poussière dans ma bibliothèque et je me dis qu’en France le monde de la formation a un bel avenir derrière lui.